mardi 14 janvier 2014

Créer et diriger en duo : l'expérience de Pierre Hermé & Charles Znaty


Hier soir nous étions à la Bananeraie, les bureaux de Michel et Augustin pour assister à l'intervention du Picasso de la pâtisserie accompagné de son associé et ami Charles Znaty. Ils sont revenus, dans une salle comble, sur leur parcours, les hauts et bas de la création d'une entreprise, le partage des rôles, la stratégie...

Il est un peu moins de 19h quand nous arrivons et, déjà, une file d'attente replète s'est formée. 

Il y avait foule à la Bananeraie hier soir

A l'intérieur, il aurait fallu pouvoir pousser les murs. On se tasse entre les bureaux. Chaque recoin est occupé, de l'open space, aux salles de réunion.


On nous offre des petits cookies et des petits carrés pour patienter. Quelque minutes plus tard, Augustin prend la parole. Michel et lui ont proposé à Pierre Hermé et Charles Znaty de venir parler de leur binôme pour partager leur ressenti, comparer, mettre en lumière les points communs et différences entre eux, Michel et Augustin et les entrepreneurs présents.


Les deux fondateurs de la marque Pierre Hermé s'avancent et la discussion débute.


Plutôt que de faire un résumé, voici leur intervention dans son intégralité, dont nous avons simplement mis certains principes et certaines phrases en valeur. Bonne lecture.


Charles Znaty : Ce qui nous rapproche de M&A c'est qu'on est dans un fonctionnement d'un projet entrepreunarial imaginé à deux. On peut donc en faire le sujet de l'intervention de ce soir et je vais laisser la parole à Pierre.


      1. Idée


Pierre Hermé : En fait on s'est rencontré autour d'un projet de design, pour désigner le logo de la maison PH avant qu'elle existe, en 1992, et de fil en aiguille on a eu envie de travailler ensemble, de créer une marque de luxe dans le domaine de la pâtisserie, ce qui à l'époque n'existait pas. C'est comme ça qu'on a démarré, fin 96-début 97. On a d'abord fait du consulting pour d'autres marques et puis finalement on a ouvert notre première boutique en 98 à Tokyo et aujourd'hui on emploi environ 500 personnes. 

CZ : Effectivement pour revenir sur la genèse de l'entreprise, on nous pose souvent la question : pourquoi le Japon en premier ? Il y a plusieurs éléments de réponse : 
1) ce n'était pas nécessairement voulu. On a commencé au Japon un peu par hasard, au hasard de rencontres et d'opportunités qui se sont présentées
2) à l'époque, même si une grande partie d'entre vous était à peine née, la pâtisserie n'était pas un sujet vraiment à la mode. Ce n'était pas un sujet dont on parlait dans les magazines, on ne voyait pas les pâtissiers à la télé, on n'en parlait pas. Donc l'idée de vouloir créer une pâtisserie haute couture était un projet assez incongru qui a eu du mal à trouver sa voie. Donc comme on dit, nul n'est prophète en son pays et on a donc démarré au Japon.
3) une dernière raison à la fois vraie et fausse c'est que les Japonais seraient très attirés par la culture française, la gastronomie française, que la marque France s'y vend très bien. C'est vrai mais pas que. Il y a plus de restaurants italiens que de restaurants français à Tokyo donc je pense qu'ils sont aussi ouverts à d'autres formes de gastronomie et de produits alimentaires qui sont pas particulièrement de France. Donc on n'est pas le centre du monde y compris à Tokyo. 

     
       2. Répartition des rôles et fonctionnement


CZ : C'est un ensemble de choses qui nous caractérisent. On fait un travail fondé sur le désir. Pierre est au commande de la création au sens où il laisse parler son coeur et ses envies pour créer un produit. Donc on est assez réfractaire à tout ce qui ressemble de près ou de loin au marketing, aux études de marché, à la rationalisation à outrance des raisonnements. On se laisse porter par notre instinct et par nos envies. Par notre fantaisie et c'est ça qui guide aussi la manière dont on se développe. Donc le Japon a été la première étape. 

PH : Comme l'a dit Charles, c'est moi qui fais les gâteaux. Lui s'occupe de beaucoup de choses mais pour moi ce qui est important dans ce que disait Charles c'est qu'on ne fonctionne pas en se disant "on a besoin de tel produit dans telle catégorie". On fonctionne en se disant "j'ai envie d'utiliser tel ingrédient" ou "j'ai une idée et je vais jusqu'au bout" et il n'y a pas d'autre motivation que celle-ci. Il y a avec moi une équipe de pâtissier qui travaille sur les essais et la mise au point des produits. On est installé dans un endroit qui s'appelle la Maison Pierre Hermé qui est l'atelier de création de la maison. Ensuite en dehors de la création je m'occupe de donner les moyens aux pâtissiers et pâtissières de la maison de faire le meilleur produit possible au quotidien. Moyens matériels, humains, produits pour qu'ils puissent créer le meilleur produit possible que ce soit en France ou à l'étranger. Je sais ôter la casquette de créateur pour rentrer dans le costume d'organisateur de la production. 

    
       3. Transmission


CZ : C'est une dimension essentielle. Lorsque j'ai rencontré Pierre il m'a dit 2 choses qui m'ont très fortement marquées : la première c'est qu'on a publié un livre ensemble, le premier, qui s'appelait Secrets Gourmands et dans lequel il y avait une grosse cinquantaine de recettes et donc j'ai demandé à Pierre si ça ne le dérangeait pas de donner ses secrets puisqu'il se trouve que ce sont les vraies recettes qui sont dans ses livres. Il m'a répondu : "Ne t'inquiète pas. Dans le livre il y a 60 recettes mais je dois en avoir à peu près 1000 dans la tête donc on peut donner les secrets sans aucune difficulté." 
La seconde chose c'était effectivement de savoir où se situe la performance dans notre métier. Il m'a expliqué un jour que ce qui est important ce n'est pas tant que le croissant soit bon une fois un jour dans une boutique. Ce qui est important c'est que le croissant soit bon tous les jours dans toutes les boutiques et ça passe par la transmission, le savoir-faire, le partage, la formation. Donc on a mis en place dans l'organisation dès le départ des moyens qui permettent aux gens qui travaillent avec nous d'assurer toute la continuité de la qualité des produits qu'on fait partout où on se trouve. Ainsi souvent on nous demande : quand vous êtes au Japon est-ce que vous adaptez les produits au goût des Japonais ? Non au contraire on s'efforce de former les gens qui travaillent chez nous, qu'ils soient Japonais ou non à reproduire exactement les recettes telles que Pierre Hermé les a conçues au départ et à donner un produit qui soit tout à fait fidèle à l'idée que lui a dans la tête au départ. 

      
        4. Communication et échange


PH : Pour moi on fonctionne ensemble c'est à dire qu'on a chacun nos territoires qui sont à la fois délimités et pas délimités parce qu'on ne se censure pas l'un vis-à-vis de l'autre et naturellement chacun a un territoire sur lequel il avance tout seul et tous les lundis on fait un point, on travaille ensemble et puis on repart ensuite chacun à nos occupations. 

CZ : On est un peu comme Michel et Augustin : ils sont l'un à côté de l'autre avec une porte de communication qui est toujours ouverte. On a opté pour le même système : on travaille dans le même bureau. Au départ c'était un peu par la force des choses, on avait qu'un bureau donc bien forcés de le partager et puis finalement on y a pris goût. Maintenant on continue à avoir le même bureau et c'est vrai qu'on partage tout. Il n'y a pas de sujets inabordables. Dans l'imaginaire il y a parfois le cliché du gars qui est dans la création qui est un peu la diva et celui qui fait de la finance qui est le stratège machiavélique. C'est pas du tout le cas chez nous. On fait tout ensemble. On parle de tout. On n'a pas de domaine réservé. La seule chose sur laquelle je peux m'engager, que je vous promets je ne ferai jamais c'est que je ne fais pas les recettes. 

PH : Et moi je ne ferai jamais la finance. C'est aussi confortable de ne pas s'occuper de sujets qu'on ne connaît pas et qui ne m'intéressent pas d'ailleurs. Ca m'intéresse in fine parce qu'on a créé une entreprise et qu'on a une responsabilité donc ça ça m'intéresse mais ça m'intéresse pas spécialement de rentrer dans tous les détails.


    5. Questions


CZ : Au lieu de vous parler longtemps en abordant tout un tas de sujets, on a vu que vous étiez nombreux et que, comme Michel et Augustin nous l'ont dit, les places se sont revendues au marché noir à prix d'or, peut-être certains d'entre vous sont venus avec des questions et on serait ravis de se laisser guider par vos questions. 

Augustin : On voit que votre projet est guidé par le plaisir, par l'intuition. Il faut quand même que ce soit compatible avec des enjeux économiques court terme et aussi par rapport à une vision un peu moyen long terme. Vous avez été très précurseur sur ce domaine là, il y a pas mal d'acteurs maintenant qui émergent, est-ce que c'est un sujet ou pas, comment vous associez le plaisir et l'équation économique cour terme parce qu'il y a quand même des gens à payer à la fin du mois ? Quelle est votre vision à moyen long terme ? On se pose souvent la question : dans 5 ans Michel et Augustin c'est où donc on essaye d'y répondre et ça nous permet d'avoir une feuille de route : est-ce que vous raisonnez aussi un peu comme ça ou c'est vraiment juste le pur plaisir au quotidien ?

CZ : Lorsqu'on s'est rencontrés, notre première idée ça a été de se dire qu'on allait créer un truc qui s'appellerait la "Maison du macaron" parce qu'on va ouvrir des boutiques où on vend des macarons. Et puis on s'est rendu compte que c'était pas une bonne idée bien qu'à l'époque peu de gens pensaient même au macaron. On a déposé la marque et le logo et puis finalement on a abandonné cette idée [maison du macaron] parce que le nom Pierre Hermé était beaucoup plus intéressant du point de vue de ce que ça représentait comme valeur parce que Pierre était pâtissier dans le sang, c'est son métier, c'est toute sa vie et donc ça résumait tout ça. 

PH : Je dis parfois à Charles : lui il peut faire autre chose, moi je suis pâtissier. 

CZ : Notre première idée c'était donc ça, ça passait par un certain nombre d'étapes, la première étant de créer une pâtisserie haut de gamme. Or créer une pâtisserie haut de gamme ça voulait dire ne vendre que de la pâtisserie, que du chocolat, que des produits sucrés ce qui était assez rare à l'époque avec un véritable travail sur le goût qui soit finalement similaire à ce qu'on trouvait dans un restaurant étoilé. Simplement un étoilé il y a quand même une barrière assez significative pour s'asseoir à une table, il faut y consacrer un certain budget et moi ce que j'ai toujours trouvé formidable avec la pâtisserie c'est que finalement même si on vend nos produits plus chers que la plupart de nos confrères le coût unitaire des produits restent relativement modeste et tout le monde peut accéder à une véritable expérience gastronomique et se faire plaisir à un coût unitaire bas. Cet aspect là me plaisait bien et aussi c'était de se dire qu'on ne voulait pas faire une boutique où il y allait y avoir des pâtisseries mais une boutique où il y aurait des macarons et des chocolats et ça on l'avait décidé dès le départ dans notre tête. Comme l'a dit Pierre toute à l'heure il y a aussi l'idée qu'on n'allait pas uniquement ouvrir une boutique en France mais qu'on allait aller à l'étranger. Donc à chaque fois qu'on a fait quelque chose à ces niveaux par exemple qu'on a ouvert notre première boutique on y avait réfléchi. On nous a dit ça ne marcherait jamais, quand on en a ouvert une deuxième on nous a dit vous avez déjà eu du bol avec la première, ça ne marchera pas et quand on en a fait une avec que des macarons et des chocolats on nous a dit c'est pas possible Pierre Hermé c'est de la pâtisserie ensuite quand on a commencé à faire ce même modèle au Japon oui mais le Japon c'est loin vous allez jamais y arriver etc etc...
Donc oui pour répondre à ta question on a une idée assez précise de là où on a envie d'aller c'est-à-dire comme l'a dit Pierre de faire une marque internationale dans le domaine qui est le nôtre avec un idéal de qualité au niveau du produit, de qualité au niveau de l'expérience qu'on fait vivre à nos clients dans nos boutiques parce qu'on est très attentifs au fait que la qualité du service doit être très présente mais nos plans s'arrêtent là en fait. Il n'y a pas vraiment de vision à 5 ans, à 10 ans, etc ça je préfère le laisser aux financiers, aux hommes politiques qui d'ailleurs ne réalisent jamais ce qu'ils disent. Ils n'ont pas la franchise, l'honnêteté de dire qu'ils ne savent pas. Nous on sait que l'on ne sait pas.

Spectateur : Ce n'est pas une question, c'est une remarque en vous écoutant. Vous parliez d'un domaine incongru, Augustin vous parlez d'un plan à 5 ans, en 1990 les pâtisseries fermaient les unes après les autres. Le marché de la pâtisserie appartient à la boulangerie-pâtisserie. Il n'est pas possible de monter une pâtisserie en 1990. Vous, par une passion, par un talent incroyable, vous arrivez à faire un modèle économique qui n'est pas reproductible. Si je ne m'appelle par Pierre Hermé, si je n'ai pas ce talent, ce n'est pas reproductible. Il y a je ne sais pas combien de centaines de pâtisseries pures qui ont fermé, seul le boulanger-pâtissier a ce marché. Donc vous êtes dans quelque chose de totalement à part comme un artiste et qui réussit parce que les créations sont comme des tableaux et on ne va pas demander à Picasso quel est son plan à 5 ans. Il n'en a pas.

PH : Si on a connu une certaine réussite c'est par le talent commun. Si moi j'ai le talent de pâtissier, Charles a eu le talent de me soutenir dans mon travail de création, de me stimuler et d'avoir une vision aussi de la communication, de l'entreprise, qui nous a permis d'avancer et d'être là où on est aujourd'hui. 

CZ : Ce n'est pas une posture de ma part mais il faut aussi rendre hommage aux gens qui ne sont pas là ce soir mais qui sont avec nous dans l'aventure depuis la première heure. Ce qui a rendu les choses possibles c'est qu'une poignée de personnes y a cru et s'est mise à travailler avec nous, s'est accrochée dans les moments difficiles, a surmonté des difficultés considérables parce que la plupart des choses il a fallu qu'on les apprenne par nous-mêmes. Rien n'était écrit, donné donc ils se sont efforcés d'inventer l'histoire. Au départ on était 5 ou 6 et le cercle s'est élargi et aujourd'hui on a la chance d'avoir autour une équipe de gens talentueux, qui ont complètement faite leur l'histoire de la maison Pierre Hermé. Dans l'aventure c'est une des dimensions les plus intéressantes. 

PH : Les gens qui travaillent avec nous depuis 12, 15, 20 ans sont l'âme de la maison et puis tout ceux qui arrivent au fur et à mesure prennent l'esprit de la maison. 

CZ :  Il y a une dimension qui me plaît bien c'est que chaque année on choisit des thèmes. Cette année c'était La vie est belle parce qu'il nous semblait que dans la morosité ambiante choisir un thème un peu enfantin et gai faisait un joli contrepied à l'actualité et à notre environnement. Il y a quelques années le thème c'était Le métissage parce qu'il y a une jolie idée dans le métissage. C'est inventer son histoire. Il y a quelques années il y avait déjà dans la maison plus d'une trentaine de nationalités différentes. 

Spectateur : Où trouvez-vous vos sources d'inspiration ? Avez-vous d'autres passions en dehors de la pâtisserie qui vous inspirent ?

PH : L'inspiration vient très souvent des produits. Elle vient parfois d'une lecture, d'une discussion avec quelqu'un. Par exemple, il y a un macaron dans la collection des Jardins 2014 qui s'appelle Le Jardin du Sultan et qui est le fruit d'une discussion avec quelqu'un. Je lui parlais du travail que j'ai fait l'année dernière sur le café et il me dit "est-ce que tu as fait comme chez moi où on met de la fleur d'oranger dans le café ?" Ah oui c'est pas mal, c'est une idée. Et puis l'idée a fait son chemin et c'est devenu un macaron café-orange-fleur d'oranger qui s'appelle le Jardin du Sultan qui est dé-li-cieux. Je sais pas quand il va apparaître dans les boutiques mais il est vraiment délicieux.
C'est vraiment des sources d'inspiration très diverses.
Après j'ai d'autres passions : je m'intéresse beaucoup au vin, je m'intéresse au parfum. Par exemple le vin, l'apprentissage que j'en ai fait m'a beaucoup aidé dans mon approche du goût et dans la manière de décrire le goût, de rentrer dans une espèce d'analyse, d'exprimer ce que je ressentais. Le vin est quelque chose d'important pour moi. Je m'intéresse à la mode, à l'architecture, à la peinture, j'ai pas mal de centres d'intérêt. C'est pas sûr qu'ils aient une influence directe sur la création mais forcément indirecte. 

Augustin : Est-ce que quand tu as une idée c'est encore toi qui réalises les essais ou est-ce que tu fais bosser ton équipe...

PH : En fait je n'ai jamais réalisé les essais. En revanche, quand j'ai une idée j'écris une recette. Je dessine les proportions entre les différentes composantes et puis j'écris précisément la recette. Par exemple il y a une crème au yuzu et au mascarpone j'écris la recette. Après le dosage parfois on l'affine, parfois le premier essai nous amène à rectifier ou à changer de technique mais à l'origine il y a une idée et une recette que je donne aux pâtissiers qui travaillent avec moi.

Augustin : et est-ce que Charles goûte les recettes ?

PH : Non.
Pas systématiquement mais parfois quand j'ai une idée et qu'il y a des points sur lesquels je bloque pour aller plus loin je lui fais goûter, pas tellement pour avoir son appréciation du goût mais pour l'idée d'après. 

CZ : En fait j'ai une vie très très difficile parce que si je ne me méfie pas, très souvent, comme on est dans le même bureau, quand Pierre est content d'un truc il m'en fait préparer un morceau. Par exemple le matin je vais me retrouver avec une part de gâteau et puis en fin de matinée une autre, et puis dans l'après-midi une troisième etc...après difficile d'aborder la fin de l'année. Oui  je suis obligé de manger souvent des gâteaux...

PH : Ensuite quand on a fait un premier essai avec les trois pâtissiers qui travaillent avec moi, je goûte et j'essaie d'exprimer ce que je ressens. On a aussi un échange sur les techniques qu'on utilise, le matériel et c'est vrai qu'on fait parfois évoluer ces essais. On aboutit à la fin à une recette très précise décrite dans les moindres détails qui ensuite est transmise aux différents chefs exécutifs qui fabriquent au quotidien la pâtisserie. Ils vont réaliser avec un des pâtissiers de l'atelier de création toutes les nouveautés que moi je regoûte une fois fabriquées dans les ateliers. Puis ensuite on met les produits en vente et je les goûte de temps en temps quand j'ai envie de faire un point sur un produit. 

Augustin : Et les pâtisseries en boutique sont fabriquées où ? En terme d'organisation de la production comment ça se passe ?

PH : Les pâtisseries de la boutique de la rue Bonaparte sont fabriquées rue Bonaparte, celles de la rue de Vaugirard sont fabriquées rue de Vaugirard et les macarons et chocolat qui approvisionnent les magasins macarons et chocolats sont fabriqués en Alsace, dans ma région natale, où nous avons implanté une manufacture en 2008 et où on fabrique les macarons et les chocolats pour la France, pour l'Angleterre, pour Hong Kong, et pour le Japon pour les chocolats. Au Japon, les gâteaux sont fabriqués sur place. 

CZ : Il y a également une équipe de pâtissiers de la maison qui travaille à l'intérieur du Royal Monceau où tous les produits sucrés sont signés Pierre Hermé. Et effectivement on a également un laboratoire de production à Tokyo qui approvisionne les boutiques au Japon.

Spectatrice : D'où viennent les matières premières par exemple pour le Japon ? Sont-elles importées de France ?

PH : Le Japon étant un pays où la gastronomie française est très bien représentée on a la chance d'y trouver beaucoup des matières premières qu'on trouve en France. Parfois on fait importer certaines matières et puis s'il y a une impossibilité on ne fait pas le produit. 

Spectatrice : Qu'est-ce que vous attendez de voir dans les yeux d'un client quand il goûte un macaron ? Qu'est-ce qui vous fait le plus plaisir ?

PH : Que ce soit un macaron, un gâteau, une glace, un chocolat c'est qu'il soit content. Que ce soit bon. Que ça lui procure quelque chose, une émotion, un sourire, simplement. Parce qu'on peut inventer tout ce qu'on veut, mélanger plein de choses, la finalité c'est de produire quelque chose qui soit bon, qui procure du plaisir, des émotions, des sensations, tout le reste c'est de la littérature. Quand je goûte les gâteaux qui sont faits pour les essais, je me mets tout de suite dans la position de celui qui goûte, pas dans la peau du pâtissier qui l'a créé mais dans celle de celui qui mange. J'aime bien manger des gâteaux (comme ça se voit) et pour moi c'est la seule motivation : c'est bon. Quand je trouve qu'il y a pas d'intérêt, je mets le produit de côté. Parfois je le reprends quelques mois, quelques années après. Par exemple le cake Mogador on avait fait un premier essai en 2005 et je trouvais pas ça très intéressant. Pas mauvais mais pas intéressant. Je l'ai mis de côté et puis l'année dernière on a fini par trouver une solution pour le rendre meilleur et très intéressant. On l'a fabriqué et on l'a vendu. C'est simple.

Spectatrice : Il vous faut combien de temps pour préparer une collection de macarons ?

PH : Comme je travaille en permanence sur des créations c'est difficile de quantifier le temps. Là j'ai déjà fait pas mal de créations pour 2015. Après je décide de les lancer en 2015 ou 2016 je sais pas encore. Je travaille en permanence sur des choses nouvelles, que ce soit des macarons, des gâteaux, des chocolats en fonction de mes envies et puis ensuite on décide quand on les lance. Par exemple on lancé cette année les galets. Ce sont des chocolats assez fins fourrés d'une fine couche de ganache et de praliné. Ce produit là est au point depuis 4  ans et on l'a lancé seulement l'année dernière au mois de mai parce qu'il a fallu le temps de créer le packaging qui nous allait bien et puis voilà. Ce n'est pas parce qu'un produit est prêt qu'il est mis en vente toute de suite. Parfois c'est le cas aussi. On a travaillé au mois de novembre sur un chou Satine pour le Fétiche Satine qui va commencer en mars parce que j'avais envie de faire un chou pour le Fétiche Satine. Il va paraître en boutique très prochainement. Donc il n'y a pas de règles. Le gâteau de Noël prochain j'ai commencé à travailler l'année dernière parce que j'avais une idée et que je savais qu'il me fallait du temps pour la développer. Donc j'ai travaillé là-dessus, pensant pouvoir le sortir en 2013 et puis finalement j'ai décidé de prendre le temps de peaufiner et de le sortir en 2014. 

Spectatrice : Bonsoir, on est sur un projet de création d'entreprise à deux d'où notre présence ce soir et on a donc deux questions :
1) est-ce que vous nous conseillez de commencer par un plus petit projet avant de nous lancer étant donné que ça ne fait pas très longtemps qu'on se connaît ?
2) qu'est-ce qui se passe quand il y a des tensions ? Comment on tient ce duo ?

PH : Dans les premières années c'était pas facile, il y a des mois où on se regardait et on se demandait comment on allait se payer...on attendait le mois prochain. On a fait en sorte que ça dure le moins possible mais on est passé par des moments difficiles. Ce qu'il faut c'est être convaincu du but, de là où on veut aller.

CZ : Oui il y a 1000 façons d'aborder cette question parce qu'elle a énormément de facettes. J'ai du mal à vous donner des conseils, je m'en méfie. Je dirais que si vous avez un projet et si vous avez un projet ensemble, faites-le. N'écoutez que vous. Descartes disait que le secret de l'action c'est de s'y mettre. Je suis profondément convaincu de ça. A partir de là, je crois que ce qui est aussi très important dans un duo c'est de ne pas avoir de sujet tabou, de non-dits. On peut échanger sur tout et c'est ça qui est le plus précieux dans le fait de diriger une entreprise à deux. Il faut avoir le courage de parler de tout, de dire ce qu'on pense, de ne pas cacher le fond de sa pensée. 

Spectateur : J'ai une question concernant le choix des collaborateurs. Avez-vous une façon précise de les sélectionner ou est-ce à l'instinct ?

PH : Pour les pâtissiers, on les choisit surtout à la motivation. Peu importe l'expérience, ce qui importe c'est la motivation, l'envie, la passion, qu'il puisse s'approprier l'esprit maison parce que chez nous on est très rigoureux sur les recettes, sur les procédés. Ca n'empêche pas de remettre en cause la façon de faire mais dans un cadre bien précis qui permet à tout le monde de s'approprier cette nouvelle façon. Pour les autres, je laisse la parole à Charles mais il n'y a pas grande différence.

CZ : Non en effet. Une de nos caractéristiques c'est qu'on aime bien donner leur chance à des gens qui ont envie de faire des choses et qui sont motivés. C'est extrêmement important. Il y a beaucoup d'histoires de gens qui se sont imposés quel que soit leur cursus, leur parcours, leur âge...ils se sont imposés parce qu'ils étaient des personnes qui avaient envie de participer à l'histoire. Après comme l'a dit Pierre on est une entreprise qui est profondément pâtissière dans son fonctionnement. On fonctionne avec des recettes, une organisation, des méthodes, une structure. Ca fournit un cadre et travailler dans un cadre c'est rigide. Ca convient pas à tout le monde. Il y a des gens qui aiment bien fonctionner en free style et faire un peu comme ils veulent. Donc là ça exige des gens qui peuvent s'épanouir dans un cadre, ce qui est particulier. L'autre dimension c'est que les gens qui sont là parce qu'ils sont exigeants vis-à-vis d'eux mêmes sont exigeants vis-à-vis des autres. Donc sans que nous ayons besoin d'intervenir, aujourd'hui, le niveau de performance attendu de tout nouvel entrant est fixé par les autres, qui ont gagné leur galon et sont fiers de ce qu'ils sont capables de produire et qui sont conscients de leur valeur. Ils imposent un certain rythme. Une fois qu'on a passé tout ça j'ai l'impression que les gens qui sont là sont plutôt contents d'y être. 

Spectatrice : Si j'ai bien compris les macarons sont faits en Alsace, en revanche je n'ai pas vu de centre de distribution en Alsace mis à part le café Lafayette à Strasbourg, quelle est la raison ?

PH : Oui on a une boutique à Strasbourg et deux autres boutiques en province, à Nice et à Lyon et sinon nos boutiques sont à Paris. On n'a pas volonté à s'éparpiller en France. On a tenté cette expérience Strasbourg, Nice, Lyon qui nous vont bien mais on n'a pas vocation à s'implanter dans d'autres villes ou régions.

Augustin : Pourquoi ?

CZ : Pas de volonté mais une grande disponibilité et une ouverture aux opportunités. On reste fidèles à notre doctrine qui consiste à pas trop planifier où on va s'installer demain. Pourquoi on s'installe là et pas ailleurs, je ne sais pas répondre. Lorsque j'ai dû bâtir un projet pour aller convaincre des banques qu'on allait ouvrir une boutique à Strasbourg il a fallu que je parvienne à les convaincre du bien-fondé du choix de Strasbourg plutôt que Marseille plutôt que Lyon etc...et j'ai beaucoup de mal à rationaliser des trucs qui ne sont pas rationnels. Faut pas se raconter d'histoires, quelque part on n'est pas encore à se dire qu'on va faire des études socio-démographiques pour comparer telle ou telle ville et identifier s'il y a un potentiel etc...C'est pas nous et quand bien même on pourrait se donner les moyens de le faire au fond ça ne nous intéresse pas.

Spectatrice : Vous avez parlé de transmission et de partage avec vos pâtissiers, n'avez-vous pas peur que demain certains de vos pâtissiers partent fonder leurs propres maisons avec leur propre nom et utilise le savoir que vous leur avez transmis ?

PH : Déjà le savoir je le transmets à travers mes livres et les recettes permettent aux pâtissiers de produire tous les jours la qualité des gâteaux. Je crois que c'est fini le temps où on cachait les recettes. Ensuite pour se mettre en condition de faire exactement la même chose il y a un certain nombre de moyens à mettre en oeuvre qui sont assez considérables : moyens humains, moyens matériels, qualité des matières premières...ça demande beaucoup d'énergie, beaucoup de talent. Il y a des gens qui peuvent être talentueux dans leur domaine mais il y a d'autres qualités à mettre en oeuvre pour faire la même chose que nous.

CZ : Oui c'est vrai et beaucoup de pâtissiers qui se sont installés sont d'ailleurs passés par chez nous. On ne considère pas que ce sont des concurrents mais des confrères. Certains sont des amis, on continue à les voir. Ce qu'on sait moins c'est que beaucoup sont restés et que ce ne sont pas forcément les plus mauvais. 

Spectatrice : Quel est le chemin qui vous a conduit à la pâtisserie ? Si vous n'aviez pas été pâtissier qu'auriez-vous aimé faire ? Et pour Charles Znaty ?

PH : Je suis issu d'une famille de boulanger-pâtissier dont je suis la 4e génération et dès l'âge de 9 ans je savais que je voulais être pâtissier. Après j'ai eu la chance de venir à Paris à 14 ans pour apprendre mon métier chez Lenôtre et pour moi ça a été une énorme de chance parce que j'y ai appris toutes les bases sur lesquelles je m'appuie encore même si j'ai développé un savoir-faire propre, je reste toujours ancré et fidèle aux bases apprises chez Lenôtre.

CZ : En ce qui me concerne j'ai commencé par hasard à travailler dans une agence de publicité. Si je n'avais pas fait Pierre Hermé j'aurais obligatoirement travaillé avec des gens qui font de la création. J'ai toujours travaillé avec des créatifs, des photographes, des metteurs en scène, des designers...
Quand j'ai rencontré Pierre Hermé je me suis rendu compte que c'était le meilleur directeur de création que j'avais jamais rencontré. Le problème c'est qu'il ne faisait pas de la communication mais de la pâtisserie donc ça m'a pris un certain temps à apprendre ce métier particulier. Il a eu beaucoup de patience avec moi, de tolérance pour accepter la distance qu'on avait. Aujourd'hui on perpétue ça parce que c'est un terrain sur lequel on se retrouve, en travaillant avec des artistes, chanteur lyrique, fleuriste, plasticien. Tout ceci reflète notre identité profonde et je ne conçois pas autre chose que de travailler avec des gens qui sont animés par l'envie de créer des choses

Spectateur : Vous avez mentionné plusieurs fois le partage du savoir (d'ailleurs j'ai essayé une de vos recettes sans succès), est-ce ce que vous avez d'autres projets en cours ? Je pense notamment aux émission télévisées etc...

PH : Très souvent les gens me disent : j'ai fait votre recette mais j'y suis pas arrivé. Mais vous avez fait comment ? Vous avez pris la recette ? Oui enfin j'ai un peu changé ce truc là. AH !
Ce qui est important quand on aborde une recette c'est de bien lire la recette, d'en comprendre les étapes avant de se lancer. Il ne faut pas faire la recette en même temps qu'on la lit. C'est très important de se mettre à peu près les étapes en tête, d'acheter le matériel complémentaire. Quand il faut un thermomètre, il faut un thermomètre, ça se trouve, quand il faut un fouet, il faut un fouet, c'est simple. Parce que dans les livres les recettes sont exactement celles que nous faisons dans les ateliers. Parfois je substitue un ingrédient parce qu'il n'est pas facile à trouver pour le particulier bien que maintenant vu l'engouement pour la cuisine et la pâtisserie auprès du grand public, les produits sont quand même relativement facilement disponibles dans les magasins ou sur internet.
J'ai d'autres projets de livres qui vont être publiés cette année ou l'année prochaine et puis on regarde d'autres formes de médias, pas forcément la télévision. La télévision, je crois, c'est quelque chose qui est un peu passé. On est plutôt sur le net. Charles va vous en parler.

CZ : Oui il y a une anecdote à propos des recettes. Vous avez sans doute entendu dire que Pierre Hermé était le Picasso de la pâtisserie. Ca vient d'un article publié dans le Vogue américain signé par le critique gastronomique Jeffrey Steingarten en 1994 (une vraie terreur, connu pour s'être fait livrer une pizza dans un étoilé). Un jour il a écrit à Pierre en disant "M. Hermé j'ai acheté votre livre, j'ai fait les recettes et ça ne sort pas du tout comme ce que j'achète dans vos boutiques". Pierre l'a invité à venir à Paris à faire les recettes devant lui. Il lui a dit où il se trompait à chaque fois qu'il se trompait et pourquoi il ne suivait pas la recette. C'est à la suite de cette expérience qu'il a écrit que Pierre Hermé était le Picasso de la pâtisserie. 
Sur les médias, je suis pas un fanatique de la télévision. On se tourne plutôt vers les nouveaux médias. On a mis la dernière main à un livre qui va sortir (c'est un scoop) dans quelques mois qui est un livre en bandes dessinées fait avec l'illustratrice Soledad, qui travaille pour le magazine ELLE et qui n'est pas douée du tout pour la pâtisserie. Elle se met en scène elle-même et montre toutes les recettes qu'elle a réalisées avec Pierre Hermé sous la forme de petites BD. Ils ont fait ça ensemble et ça donne un livre très drôle avec des recettes accessibles. 

Spectateur : Vous disiez qu'il y avait de plus en plus de pâtissiers qui s'installaient et je me demandais s'il y avait une forme d'entraide ou si c'était vraiment des concurrents ?

PH : Il existe en France une association de pâtissiers qui s'appelle les Relais Desserts dont je suis le vice-président et il y a une très grande fraternité et un très grand échange entre les membres qui se réunissent deux fois par an en séminaire pour échanger, passer trois jours ensemble, à parler de gâteaux, de pâtisseries et il y une vraie solidarité au sein de ces Relais Desserts. Après il existe d'autres associations de pâtissiers mais c'est la plus importante en France et en Europe.

Question Twitter : Avez-vous un autre scoop ? Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier ?

PH : La prochaine. C'est la seule qui compte. Il y aura probablement un 2e livre macaron en 2014

CZ : Si on comme à donner tous les scoops ça va pas aller !

PH : Il y aura un oeuf de Pâques extraordinaire

CZ : Oui cet oeuf est assez extraordinaire en effet. Il a demandé énormément de recherche. C'est quelque chose de très compliqué.

PH : c'est une collaboration avec un artiste suisse qui s'appelle Beat Zoderer. Son travail d'artiste est repris sur un oeuf de Pâques. 

Augustin : Dans la nouvelle génération qui arrive, quels sont le ou les jeunes pâtissiers auxquels il faut prêter attention ?

CZ : C'est difficile de répondre parce que je donnerais une première liste de gens qui sont chez nous et une seconde liste de pâtissiers dans le monde entier. Ca vient aussi du fait que je m'intéresse pas trop à la concurrence. Mais plein de gens font des choses formidables.

PH : Dans notre démarche, on est toujours ailleurs, où nous portent nos envies. C'est pas guidé par ce que font les autres, jamais. Au contraire. 

Spectatrice : Toute à l'heure vous avez parlé d'un gâteau que vous avez mis de côté pour lui rajouter quelque chose et je suis un peu restée sur ma faim, j'aurais voulu savoir ce que c'était.

PH : C'était le cake Mogador donc c'est chocolat au lait/fruit de la passion/ananas rôtis et on l'a fait l'année dernière en rajoutant dans le cake du jus de fruit de la passion qu'on a fait séché pour renforcer le goût, retirer le liquide, et puis ensuite on a mis dessus une couche de ganache bien épaisse de chocolat au lait et fruit de la passion et on a aussi imbibé ce cake de jus de fruit de la passion ce qui a permis de développer le goût et le contraste avec le chocolat et là ça a fait un très bon cake.

Question Twitter : Que pensez-vous du projet de M&A "Passez votre CAP Pâtissier avec nous" ? Prenez-vous des stagiaires ?

PH : Je ne connais pas le projet donc je vais pas être très loquace mais je pense que tous les efforts de formation sont à encourager. On ne prend pas de stagiaires sauf ceux recommander par les écoles avec lesquelles on travaille comme Ferrandi principalement.

Acheteur M&A chez Monoprix : Vu les points en commun que vous pouvez avoir avec le duo Michel et Augustin, à quand une recette développée par Pierre Hermé pour Michel et Augustin en exclusivité pour Monoprix ?

CZ : Il y a eu assez de scoops !



Qu'ajouter si ce n'est que la prochaine rencontre Boire une vache avec se déroulera à Lyon le 27 janvier et qu'on vous encourage vivement à vous inscrire le 20 janvier à 12h02. 

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