mercredi 1 octobre 2014

Fait maison ou fait ailleurs ?


 
Qu'est-ce que le fait-maison ? Nous avons assisté lundi à l'AgroParis Tech à un débat sur le sujet, que vous pouvez visionner en intégralité ici. Brûlante il y a encore quelques mois, la question ne rencontre plus guère d'écho. Certes, il faut suivre le calendrier : la mesure a été votée en mars, est entrée en vigueur en juillet mais les restaurateurs ont jusqu'au 1er janvier pour s'y conformer. Techniquement, il peut donc s'agir d'un silence trompeur avant un nouveau raz-de-marée médiatique. En réalité, à la lumière de ce que nous avons appris lundi, après un si pénible accouchement, le label risque grandement de faire flop.

Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup. Martine Aubry a le sens de la formule et son bon mot rencontre ici un certain à-propos.

Initiée par la droite bien avant 2012, cette loi a réuni un grand nombre de professionnels dont la mission était dans dans un premier temps de trouver une définition au fait-maison qui satisfasse l'ensemble du métier. 

En mars, la loi posa donc qu'un plat "fait maison” est élaboré sur place à partir de produits bruts, la dénomination "produits bruts" restant à éclaircir. Mais la loi ne dit pas que cela. En effet, des produits déterminés par voie réglementaire, p[ourro]nt entrer dans la composition des plats "faits maison” après avoir subi une transformation de leur état brut nécessaire à leur utilisation. Sans savoir précisément ce que recouvre l'appellation "produits bruts", des "produits non-bruts" bénéficieront d'exception. La situation se complique.

En juillet, le décret d'application est publié, qui doit préciser les choses. 

D'abord, qu'entend-on par "produits bruts"? 

Voici la définition donnée à l'article D121-13-1 : un produit brut est un produit alimentaire n'ayant subi aucune modification importante, y compris par chauffage, marinage, assemblage ou une combinaison de ces procédés.  

La question émerge immédiatement : qu'est-ce donc qu'une modification importante ?

Et là surprise : les épluchages, à l'exception des pommes de terre, pelages, tranchages, coupages, découpages, hachages, nettoyages, désossages, dépouillages, décortiquages, taillages, moulages ou broyages, fumages, salages, réfrigérations, congélations, surgélations, conditionnments sous vide ne sont pas des modifications importantes du point de vue de la loi. On croise pourtant rarement des crevettes sous vide gambader dans l'océan.

Mais penchons-nous plutôt sur l'exception : la pomme de terre. Pourquoi la pomme de terre n'a-t-elle pas le droit d'arriver épluchée, tranchée, congelée ? Parce que McDo.
Si tel avait été le cas, les frites toutes faites simplement cuites se seraient vues labellisées "frites faites maison". C'eût été embarrassant, pas pour McDo. Les modifications non importantes sus-citées restent néanmoins suffisantes pour ne pas embêter grand monde.

Sans aller plus loin, on peut déjà s'interroger sur l'intérêt pour le consommateur. Alors que l'objectif initial était de dissuader les restaurateurs peu scrupuleux, ce label, à vouloir ratisser trop large, ne dit plus rien. Rien sur la qualité des matières premières utilisées : le client demeure sans aucune certitude sur la fraîcheur des produits. Rien non plus sur la qualité du cuisinier : un plat peut être estampillé "fait maison", la réussite dudit plat n'est aucunement garantie. Bref, c'est comme le Sénat, on se demande à quoi ça sert.

Deuxièmement, le décret doit établir la liste des produits "non-bruts" autorisés. 

Il s'agit d'une liste positive c'est-à-dire que tout plat utilisant un ingrédient "non-brut" qui n'est pas dedans, ne peut pas bénéficier de la mention fait-maison. Exemple, le ketchup. Ainsi pour un burger "maison" il faudra préciser "burger maison - ketchup Heinz". Les cartes de restaurant risquent de sérieusement s'allonger. Mais revenons à ce qui est autorisé : 

- les salaisons, saurisseries et charcuteries, à l'exception des terrines et des pâtés ;
- les fromages, les matières grasses alimentaires, la crème fraîche et le lait ;
- le pain, les farines et les biscuits secs ;
- les légumes et fruits secs et confits ;
- les pâtes et les céréales ;
- la choucroute crue et les abats blanchis ;
- la levure, le sucre et la gélatine ;
- les condiments, épices, aromates, concentrés, le chocolat, le café, les tisanes, thés et infusions ;
- les sirops, vins, alcools et liqueurs ;
- la pâte feuilletée crue ; 
- sous réserve d'en informer par écrit le consommateur, les fonds blancs, bruns et fumets.

La choucroute (fut-elle crue) ? La pâte feuilletée ? Que reste-t-il de maison à un plat feuilleté si le feuilletage ne l'est pas ? La garniture pré-découpée peut-être ? Comme l'a rappelé un des intervenants, professeur de droit, les juges étaient d'un autre avis qui condamnaient systématiquement les soi-disant "tartes maison" à base de pâte toute faite. Certes, seule la pâte feuilletée est concernée. Certes, elle demande du temps et un certain tour de main mais tout de même, c'est bizarre. Est-elle l'unique préparation à nécessiter doigté et repos ? In fine, un professionnel ayant fait sa pâte feuilletée lui-même et l'autre pas, auront tous les deux le droit d'appeler le résultat "maison". On comprend pourquoi, outre le client, un certain nombre de restaurateurs ne s'y retrouvent pas non plus.

Finalement, au-delà de la loi, c'est bien le nom de ce label qui pose problème. Car le fait-maison est une pratique, il y en a autant que de cuisines. C'est bien là que le bât blesse. A vouloir tout englober, cette nouvelle règlementation envoie un message brouillé que chacun interprétera à sa manière. Finalement, c'est tout le projet qui s'en trouve dénaturé avec des pratiques discutables légitimées et des consommateurs loin d'être plus avancés. 

Y a-t-il tout du même du bon à tirer de cette mesure ? Oui, justement d'avoir le mérite d'exister. Maintenant que la loi est là, ne tardons pas à la changer.

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